7. La vengeance de Loki

Le drakkar à fond plat avait été spécialement conçu pour accoster n’importe où avec facilité. C’est donc sans peine que les béorites mirent le pied sur l’île. Ils installèrent rapidement le camp et se divisèrent les tâches. Amos et Béorf eurent pour mission de trouver de l’eau potable. Comme tout l’équipage allait s’enfoncer dans les terres, Baya Gaya, toujours ficelée en haut du mât, cria :

— NE PARTEZ PAS ! NE ME LAISSEZ PAS SEULE !

— Et pourquoi pas ? demanda Banry avec un large sourire moqueur.

— Parce que Loki va se venger de moi ! répondit la sorcière. Je dois vous accompagner, c’est essentiel pour ma survie ! Avec vous, je serai en sécurité ! Si vous m’abandonnez, Loki me tuera pour me punir d’avoir échoué ma mission. Vous ne souhaiteriez pas la mort d’une vieille dame, quand même ?

— Nous n’avons aucune confiance en toi ! lui cria Helmic. Si Loki est ton maître, eh bien, arrange-toi avec lui ! Nous n’avons rien à faire de vos histoires…

— TRÈS BIEN, BANDE DE LÂCHES ET DE VERMINES PUANTES ! hurla Baya Gaya, mais RENDEZ-MOI MON PENDENTIF ! Si je dois mourir, je dois l’emporter avec moi !

— Tu n’emporteras rien, répliqua Amos. Ton pendentif et ta chaînette en or sont dans ma poche et je les garde ! Nous t’avons ficelée en haut de ce mât et tu n’en descendras que pour être jetée en prison ! Nous t’amènerons à Berrion ou à Bratel-la-Grande pour que tu y sois jugée ! En attendant, je pense qu’il est plus sage de te laisser prendre l’air sur ton perchoir.

— Et ne t’avise pas de nous faire d’autres problèmes, lança avec insolence Hulot Hulson. Il y a quelques mois, j’ai tué un dragon d’un seul coup d’épée ! Je te raconte… C’était à Ramusberget, nous attaquions, mes amis et moi, le repaire de dangereux gobelins assoiffés de sang quand soud…

— Et voilà qu’il recommence ! s’exclama Piotr en couvrant de sa main la bouche d’Hulot.

Partez devant, je veille à lui faire garder le silence !

Les béorites s’enfoncèrent dans l’île en riant de bon cœur. Baya Gaya demeura seule, prisonnière en haut du mât du drakkar. Voyant la troupe s’éloigner, elle hurla frénétiquement :

— ADIEU, AMOS DARAGON ! QUE LA MALÉDICTION DE BAYA GAYA T’ACCOMPAGNE ! ADIEU, GUNTHER ! ET ADIEU, MONDE POURRI !

Amos se retourna et haussa nonchalamment les épaules.

« Il ne peut quand même rien lui arriver », pensa-t-il.

— Tu sembles préoccupé, lui dit Béorf qui marchait à ses côtés.

— Non, répondit Amos. Je me demandais seulement de quoi cette sorcière peut bien avoir peur… Je pensais aussi à Loki et… Enfin ! Concentrons-nous sur ce que nous avons à faire maintenant ! Il ne sert à rien de s’inquiéter pour l’instant.

— Je me demande bien pourquoi son pendentif revêt une telle importance à ses yeux.

— Si tu veux, nous examinerons l’objet tout à l’heure, proposa le porteur de masques.

Les béorites avaient déserté les alentours du drakkar depuis bientôt une heure lorsqu’un loup gris sortit de la forêt et alla s’asseoir paisiblement sur la rive. Le sang de Baya Gaya se glaça d’effroi.

— Dis à ton maître que tout va très bien ! Mon plan fonctionne à merveille… Ils sont tous tombés dans le piège ! Pars vite ! Je ne voudrais pas qu’ils te voient… Cela pourrait faire échouer mon plan !

— Ton plan ? demanda le loup d’une voix profonde et calme. Mais quel plan ? Te voilà ficelée, incapable de bouger, ridiculisée par des enfants et prisonnière des hommes-ours… Alors, quel plan ?

— Ce serait trop long… trop long à t’expliquer… Tu… tu ne comprendrais pas…, bafouilla Baya Gaya qui suait à grosses gouttes. Pars, j’ai la situation bien en main ! Les choses vont… vont s’arranger… tu… tu verras… tu verras !

— Non, les choses ne s’arrangeront pas, déclara le loup. Loki m’a demandé de t’éliminer et je suis ici uniquement pour cela ! Tu as fortement compromis mon maître en parlant de lui aux béorites. Les hommes-ours sont des créatures d’Odin, la race préférée du grand dieu, et il ne doit pas savoir que Loki est mêlé à tout cela. Tu as fait trop d’erreurs, je suis désolé !

— NON… NON, supplia la sorcière. Je vais me racheter… Libère-moi et je les assassine tous… Sois gentil, bon chien-chien… NON, pas le feu ! NON ! Tu ne ferais pas brûler une vieille dame, quand même ? NON ! ! !

*   *

*

Dans leurs recherches pour trouver de l’eau, Amos et Béorf atteignirent le sommet de la petite montagne qui se trouvait de l’autre côté de l’île.

Les garçons s’arrêtèrent au bord d’une falaise pour admirer la mer. Plus bas, ils aperçurent un immense trois-mâts échoué sur les écueils. Ce bateau était une bonne dizaine de fois plus grand que leur drakkar. Ses voiles en lambeaux battaient au vent. Le navire avait fait naufrage et pourrissait, prisonnier entre les vagues et la falaise, depuis certainement bon nombre d’années.

— Je me demande ce qui est arrivé à l’équipage, dit Béorf.

— Probablement tous morts, répondit Amos. La mer est très agitée ici ! Seul un excellent nageur aurait pu, avec beaucoup de chance, s’en sortir indemne…

— J’espère que mon oncle Banry réussira à nous éviter une telle catastrophe ! soupira Béorf, un peu inquiet.

— J’ai déjà vu pire ! fit Amos en rigolant Ensemble, nous avons vaincu une armée de gorgones, réduit à néant un grand sorcier nagas, éliminé Yaune le Purificateur en mettant son âme dans le corps d’une poule, affronté une armée de gobelins et défait un dragon !

— C’est pas mal du tout ! Et nous n’avons que treize et quatorze ans ! Imagine toutes les histoires que nous pourrons raconter lorsque nous aurons cinquante ou soixante ans !

— Personne ne nous croira ! s’exclama Amos en riant aux éclats. On nous montrera du doigt en nous traitant de déments !

Les deux garçons, fatigués par le voyage en mer et leur longue marche, rirent à s’en décrocher les mâchoires. Amos en avait mal au ventre tandis que Béorf, les larmes aux yeux, avait du mal à respirer. Après plusieurs minutes, ils retrouvèrent quelque peu leur sérieux. Béorf souffla un bon coup et dit en s’essuyant les yeux :

— Je me demande lequel de nos compagnons est en train de faire un feu ?

— De quoi parles-tu ?

— Regarde là-bas ! Il y a une colonne de fumée à peu près à l’endroit où nous avons accosté avec le drakkar ! Avec toute cette fumée, ce doit être un très gros feu…

— OH NON ! s’écria Amos. Je viens de comprendre de quoi Baya Gaya avait peur ! Béorf, quel est le moyen le plus efficace de se débarrasser d’une sorcière ?

— C’est en la brûlant ! lança le gros garçon, tout fier de connaître la réponse.

Le jeune béorite hurla :

— JE VIENS DE COMPRENDRE ! LE BATEAU BRÛLE ! LE BATEAU BRÛLE ! ! !

Béorf se transforma aussitôt en ours et dévala la petite montagne à toute vitesse. Incapable de suivre le rythme de son ami, Amos courut le plus rapidement possible vers le drakkar en feu.

Lorsque le jeune porteur de masques arriva sur la rive, il était trop tard pour agir. De grandes flammes jaillissaient du drakkar !

Calcinée en haut du mât, la sorcière ressemblait à une créature cauchemardesque. Sa chair avait fondu et la moitié de son crâne était apparent. Pas de doute, elle était bien morte !

Alertés par les grognements de Béorf, les béorites arrivèrent un à un et regardèrent, dans le plus grand silence, le feu dévorer leur drakkar. Seul Hulot osa parler :

— À combien de jours de nage sommes-nous d’Upsgran ?

Pour toute réponse, il reçut une solide claque derrière la tête, gracieuseté de Piotr.

Amos se pencha vers Béorf qui se frottait les yeux, et lui demanda à l’oreille :

— Dis-moi que l’œuf de dragon n’est pas à bord ! S’il te plaît… confirme-moi qu’il est ailleurs que sur le drakkar !

Béorf ne broncha pas mais, nerveux, se mordit la lèvre inférieure. Après quelques secondes, il répondit enfin :

— J’ai caché l’œuf entre la coque et le plancher du navire. Il est actuellement en train de se faire rôtir…

— Si ce que Sartigan m’a dit est vrai, murmura lentement Amos, nous assisterons alors bientôt à la naissance d’un Ancien. L’œuf était à maturité et prêt à éclore. Dans ce bain de chaleur et de braise, le dragon va se réveiller et briser sa coquille !

— Tu sais comment enseigner les bonnes manières à un dragon, toi ? demanda Béorf avec une légère hésitation dans la voix.

— Non, répondit Amos. Mais il faudra vite trouver une façon de le faire… Sartigan m’a dit que, même petits, les dragons sont plutôt turbulents. Je crois qu’il vaudrait mieux avertir l’équipage que nous allons avoir une visite surprise…

— Et on leur dit cela comment ? demanda Béorf, un peu inquiet de la réaction de ses compagnons.

— On improvise ! lança Amos en ravalant sa salive.

— Vas-y, ordonna le gros garçon, mal à l’aise. Après tout… c’est toi le porteur de masques ! Et ils seront plus attentifs aux propos d’un joli garçon !

Amos soupira et demanda à tous les membres de l’équipage de s’approcher. D’une voix hésitante, il leur raconta l’épisode de l’aventure de Ramusberget qu’ils ne connaissaient pas. Il leur parla de sa rencontre avec le dragon et du cadeau que lui avait fait la bête. Il conclut ainsi :

— Béorf et moi avons ramené cet œuf à bord du drakkar jusqu’à Upsgran. Nous n’en avons parlé à personne. Nous pensions que ce petit dragon avait le droit de vivre et que, bien dressé par des hommes bons, il serait en mesure de devenir un être fantastique prêt à servir le bien.

— Mais Sartigan, continua Béorf, nous a bien fait comprendre que les dragons sont des créatures maléfiques dans l’âme. Ils ont été créés par les forces du mal pour servir le mal et il est illusoire, selon lui, de croire qu’une telle bête pourrait un jour servir le bien…

— Alors, reprit Amos, comme Sartigan devait partir, il nous a confié l’œuf. Dans un bateau, il avait peu de chances de se voir exposé à une grande source de chaleur…

— Et, termina Béorf, je l’ai caché entre la coque et le plancher du drakkar. Ce qui veut dire qu’à moins d’un miracle, nous devrions assister à la naissance d’un dragon. Des questions ?

Toutes les têtes se tournèrent en même temps vers le drakkar en flammes. Le mât s’effondra en amenant avec lui les restes de Baya Gaya. Puis les béorites entendirent un cri. Un râlement provenant du brasier. Les hommes-ours firent instinctivement un pas en arrière. Un deuxième cri, celui-là plus puissant, leur glaça le sang. Devant eux, sous leur regard incrédule, une petite tête émergea des flammes. Un lézard à quatre pattes d’environ deux mètres de long, muni de grandes ailes repliées sur son dos et d’une très longue queue, bondit sur la rive. La créature avait déjà de longues dents acérées et de puissantes griffes. Le petit dragon poussa un cri haineux, toussota et regarda les béorites en se léchant les babines. Béorf se pencha vers Amos :

— Je pense qu’il a faim ! Un dragon, qu’est-ce que ça mange ?

— Des hommanimaux et des humains ! répondit Amos avec un demi-sourire. Ce qu’il a devant les yeux, c’est un banquet !

 

La Malédiction de Freyja
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